L’un d’eux a pris de l’avance. Bernard Cazeneuve a lancé son propre mouvement, La Convention, en pleine réforme des retraites, auquel a déjà adhéré le PRG de Guillaume Lacroix. Comme ses pairs de ce fameux dîner, l’ancien Premier ministre fait l’objet de blagues récurrentes à gauche. «  J’ai lu qu’il crée un mouvement contre le bruit (Bernard Cazeneuve a employé ce terme pour moquer la stratégie des Insoumis). Au début, j’ai cru que c’était un mouvement des gens qui habitent près des autoroutes et qui luttent contre la pollution sonore », raille un haut dirigeant socialiste. « Cazeneuve ? C’est l’hypothèse qui nous effraie le plus », se marre David Cormand, l’ancien patron d’EELV.

L’ancien Premier ministre de François Hollande, en rupture de ban avec le Parti socialiste, n’en a cure et se dit «  déterminé ». Depuis l’automne, il multiplie les tribunes, entre la Nupes, dont il rejette le patronage de LFI, et Emmanuel Macron, qu’il trouve « de droite ». Son offre : une gauche « de gouvernement », profondément européenne, attachée aux valeurs de la République et à la justice sociale, ne croyant pas à la décroissance et à la fin du nucléaire. Il se démarque aussi par un pilonnage en règle de Jean-Luc Mélenchon, qui le lui rend bien.

Bernard Cazeneuve a «  annoncé le troisième lancement de sa fédération de gauche social-démocrate, laïquerépublicaine, notariale, polie et bien habillée. Aussitôt, on apprit que des groupes se formaient dans les rues de Courbazin, Sainte-Neuve et même Cayorac aux cris de Youpi Bernard est revenu ! » moquait l’Insoumis en février dans une note de blog.

Le socialiste, lui, ne digère pas que Mélenchon l’ait accusé d’avoir «  organisé l’assassinat de Rémi Fraisse », en référence à la mort de ce militant tué par une grenade de gendarme lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens en 2014 lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. Et il considère que la stratégie du tribun « fabrique du vote RN dans des proportions industrielles, c’est du taylorisme à la chaîne ». Son initiative, qui permet la double appartenance avec un parti, se veut la suite logique de son « manifeste » pour « une autre gauche », lancé en septembre, qui avait recueilli quelque 6 000 signatures. « Ce n’est pas un parti politique, c’est un lieu d’élaboration de ce projet : les partis peuvent y adhérer. Énormément de socialistes sont adhérents : 10 présidents de départements, 100 maires, le PRG, une partie des petits clubs socio-démocrates comme les Télémaques. On a aussi entre 20 et 25 parlementaires avec nous », décrypte un proche du socialiste. « C’est l’abri de tous ceux qui n’en peuvent plus de la politique telle qu’elle s’écrit à gauche », ajoute-t-il.

Bernard Cazeneuve revendique déjà 4 000 adhérents et assure que les nouveaux inscrits affluent tous les jours. «  Il y aura un comité de direction de la convention, des conventions régionalisées, c’est un laboratoire d’idées un peu rocardien », détaille le même proche.

L’ancien Premier ministre assure pour l’instant que la présidentielle n’est pas dans son esprit, et souhaite bâtir une force politique avant toute chose. Il est convaincu qu’en l’absence d’une gauche de gouvernement, Marine Le Pen accédera au pouvoir. Mais présentera-t-il des candidats aux élections intermédiaires ? Ce n’est pas sa priorité. Aux élections européennes, il souhaite tout de même une liste de gauche de «  gouvernement ». Pourrait-il en prendre la tête ? Guillaume Lacroix a longtemps espéré que Bernard Cazeneuve mène une liste avec le PRG. Mais le principal intéressé ne semble pas partant.

Pour l’heure, son entreprise ne rencontre que peu d’échos à gauche. Si ce n’est les moqueries. «  Que chacun porte sa croix. Ce serait rigolo qu’il soit candidat aux européennes. Il lui fut demandé plusieurs fois d’être celui du PS », souligne un cadre socialiste. Un autre : « Je n’ai toujours pas compris ce qu’il défendait. Son espace entre la Nupes et Macron se rétrécit. C’est un peu une bulle spéculative ce mec. »

Olivier Faure, lui, aime à rappeler que pendant la campagne présidentielle, il avait commandé un sondage partagé avec Guillaume Lacroix, incluant Bernard Cazeneuve comme candidat. «  Il y avait Taubira, Cazeneuve, Hidalgo, Hollande… Quand Hidalgo était encore à 4 %, il était à 3 % », moque un proche du patron du PS.

D’autres s’interrogent sur une possible forme de concurrence avec la présidente PS de la région Occitanie, Carole Delga, qui semble occuper la même ligne que lui. «  Ça n’a pas l’air de marcher son truc à Delga pour l’instant », note un ami de Bernard Cazeneuve. « Concurrents ? Pas du tout elle est à l’intérieur du PS et lui à l’extérieur, il la trouve remarquable », assure le même.

Bernard Cazeneuve, lui, n’entend «  pas céder à l’époque ». Au début du mois d’avril, il sort un livre sur l’écrivain et prix Nobel, François Mauriac. Et poursuit, sans « barnum », sa tournée de la France.

Par Pierre Maurer